Depuis 15 ans, le retour de l’attractivité de New York accroît la cherté des loyers. Sous Michael Bloomberg, 40% du zonage a été révisé. A l’image de la cession de droits aériens, la ville possède l’art de mobiliser les fonds privés pour pallier de moindres investissements publics.
La modernité n’est pas toujours là où l’on croit. « Nous sommes jaloux à New York de ce que vous avez fait avec Réinventer Paris », indique Rick Bell, dans une improbable halle, sur la 6° avenue, au cœur de Midtown, à Manhattan, où se côtoient cadres sup en pause et SDF. Le temps est beau, sec et froid. Le directeur exécutif du département design et construction de la ville de New York décrit les défis auxquels la ville est confrontée, à la fois si différents et si proches des enjeux parisiens. Pour ce haut-fonctionnaire né ici, qui a servi successivement sous l’administration Bloomberg et de Blasio, la lutte contre l’exclusion sociale est la priorité.
A la fin du XX° siècle, après des décennies de décroissance et le désastre meurtrier du 11 septembre 2001, – chacun en parle ici avec une émotion palpable, une voix qui baisse soudain d’un ton, et ralentit -, New York affiche aujourd’hui une santé insolente. « Si 90% des emplois régionaux créés entre 1980 et 2000 l’ont été en dehors de la cité, c’est strictement l’inverse qui s’est produit depuis 2000 », indique Juliette Michelson, vice présidente exécutif de la Regional Plan Association. Avec comme corollaire une hausse infernale des loyers, renforcée par l’attractivité mondiale de la ville.
3000 dollars par mois un 40 m2
Bill de Blasio mène une politique agressive pour éviter les sorties massives de logements du parc social, au terme de leur subventionnement. Des fonds d’investissements dotés de plusieurs milliards de dollars ont été créés pour financer la construction de nouvelles habitations à loyer modéré. Mais une chambre en colocation dans Brooklyn se loue couramment 1500 dollars par mois (1 214 euros). Un appartement de 40 m2 dans l’upper west side en vaut 3000 (2430 euros). Les tours les plus chers et les plus hautes, aux abords de Central Park, objets d’investissements spéculatifs, sont largement inhabitées, comme le confie Christian de Portzamparc, qui a dessiné plusieurs tours ici au cours des dernières années (voir par ailleurs).
« Les prix s’ajustent au plan mondial, en déconnexion totale avec les capacités contributives de la classe moyenne, déplore Urs P. Gauchat, ex-doyen of the College of Architecture and Design du New Jersey Institute of technology (NJIT). Dans le luxueux siège de la fondation Bloomberg, qui borde Central Park, Amanda Burden, qui fut directrice de l’urbanisme à New York durant le précédent mandat, relativise ce phénomène qui ne concerne, estime-t-elle, qu’une parcelle de l’Upper East side, « autour de la 57° rue »
Cession des droits aériens
Au cours des 20 dernières années, New York s’est métamorphosée. Amanda Burden, qui sillonne le monde pour des missions de conseils, – elle accompagne à Paris la Semapa pour faire du quartier de Station F un pôle d’innovation – raconte comment, à partir des années 2000, elle a changé le zonage de 40% de la ville. Rue par rue, quartier par quartier, conformément au objectifs de la municipalité, qui anticipe l’arrivée d’un million de nouveaux résidents à l’horizon de 2030. « Avant l’élection de Mike Bloomberg, personne ne s’intéressait réellement aux autres burroughs, raconte cette grande dame de l’urbanisme, avec une voix d’enfant et un regard d’acier. Et l’équivalent du plan local d’urbanisme était inchangé depuis 40 ans. En résulte alors une urbanisation anarchique, largement irrationnelle. Amanda Burden invente, pour aménager la High Line, aujourd’hui le 10° site le plus instagrammé au monde, la cession de droits aériens. Les promoteurs qui possédaient des propriétés sous l’ancien chemin de fer surélevé s’opposaient fermement à la préservation de la high line et à sa transformation en passerelle urbaine limitant d’autant les droits à construire.
Amanda Burden a donc proposé la création d’un «transfert district» qui permettrait aux promoteurs de vendre leurs droits aériens aux propriétaires de fonciers des larges avenues situées à proximité. Ces derniers ne pourraient ainsi construire plus haut qu’en achetant des droits aériens sur les propriétés situées sous la ligne High Line. «Ce mécanisme a sauvé la High Line de la démolition tout en protégeant avec succès la lumière et l’air aux alentours et en permettant un développement supplémentaire le long des avenues», résume Amanda Burden.
Une semblable Air rights transfert district area sera définie pour sauvegarder les vieux théâtres de Broadway, autour de Times Square. A new York, personne ne s’élève contre la hauteur, qui constitue l’identité de la ville. « J’aime Genève, où j’ai vécu, dit Rick Bell dans un français distingué, mais c’est une ville musée. La hauteur nous permet d’avoir un avenir ».
La mue de Brooklyn
New York sait pallier, au moins partiellement, des fonds publics plus rares qu’en France par une mobilisation plus énergique des fonds privés. A Brooklyn, Regina Myer, présidente du Downtown Brooklyn partnership a pu faire financer la totalité de l’exploitation et de la maintenance du parc situé entre les ponts de Brooklyn et de Manhattan par des fonds privés. La ville a cédé pour une durée de 100 ans le foncier correspondant à des promoteurs, investi 400 millions de dollars pour transformer le site et finance aujourd’hui l’intégralité de son entretien grâce aux loyers acquittés par les promoteurs.
Brooklyn, à l’instar de Williamsburgh, plus grande concentration de hipsters au monde, est passé d’une immense friche, repère de trafics divers et de bars à strip-tease, à un symbole de la gentrification. La transformation de l’ensemble du front de mer figure parmi les motifs de fierté de l’administration Bloomberg. Une administration très respectée, aimée même de tous les acteurs rencontrés, reconnaissant à leur ancien maire le mérite d’avoir su redresser une ville que beaucoup crurent voir mourir le 11 septembre 2001. Mais si New York rayonne de nouveau, 20% des New Yorkais vivent en dessous du seuil de pauvreté. Un tiers des habitants consacrent plus de la moitié de leurs ressources pour se loger. Et si tout le monde ici affirment aimer les migrants, – « l’identité de New York réside dans sa capacité d’intégration », résume Amanda Burden -, les plus pauvres ne cessent d’être relégués.
« Il est très cher de produire du logement, à cause de nombreux règlements, et il existe des tensions constantes provoquées par la différence de prix entre les ouvriers américains et celui auquel sont payés les ouvriers étrangers, rémunérés 30% de moins », remarque James Mc Cullar, architecte, ancien président du Consortium for Sustainable Urbanization (CSU).
Construire plus
Paradoxalement, la ville possède un parc de logements sociaux record aux Etats unis, avec des cités gigantesques, à l’image de Co-op City, dans le Bronx, ou de Queensview dans le Queens. Si le logement est largement une politique laissée à la main des villes, les Etats n’en sont pas totalement absents pour autant. En 2015, 8% des appartements loués à New York city (178.000 unités) demeurent la propriété de l’Etat. « Le changement de zonage a provoqué la construction de nombreux logements au cours des dernières années en dehors du parc social et abouti à une légère baisse des prix. Mais cela n’a pas aidé les plus pauvres », regrette l’architecte Aliye Celik, présidente du CSU.
Face à cet état de fait, la Regional association plan dans son 4° programme, propose une batterie de mesures, proches des politiques menées en France. La concentration des fonds publics sur l’aide au logement très social figure parmi elles, de même que la régulation des loyers et une meilleure protection des locataires face aux bailleurs privés. L’association préconise également l’augmentation des budgets publics dédiés à l’entretien d’un parc de logement social en mauvais été général. Cela « afin de permettre les améliorations nécessaires pour élever les logements sociaux aux normes modernes et améliorer la résilience au réchauffement de la planète ». A New York plus qu’ailleurs, qui possède le plus long front de mer des Etats-Unis, on sait, depuis l’ouragan Sandy qui a dévasté la Région en 2012, la nécessité d’agir face à l’urgence climatique.