Plus numériques, multimodales, ouvertes sur la ville, les gares de métro ont opéré une mue qui transforme ces lieux de passage en lieux de vie, avec une nouvelle ambition architecturale. Précurseur en la matière, Étienne Tricaud, ex-président d’Arep, évoque la prise en compte accrue de la dimension architecturale dans les gares de métro.
Faire ses courses à la gare Saint-Lazare, à Paris, est devenu une habitude pour les habitants du quartier. Avant sa rénovation, la salle des pas perdus n’était pourtant fréquentée majoritairement que par les voyageurs. À Chengdu (Chine), Arep travaille sur un projet situé dans un quartier en développement, dont la gare va intégrer une médiathèque, des commerces et des services. Si la récupération des colis est devenue l’un des classiques des stations modernes, de nombreuses autres offres ont émergé ou sont testées, comme l’installation d’espaces de coworking, de location de trottinettes ou d’autres innovations.
Au-delà de ce que l’on y met, la transformation de lieux de passage en lieux de vie a fait évoluer les attentes en termes de conception, afin d’obtenir des bâtiments beaucoup plus ambitieux. Certains nouveaux projets de métros sont dotés de bâtiments « signal », confiés à de grands noms de l’architecture. Le Grand Paris express, dont les gares ont été confiées à la crème de la profession, en France et à l’international, avec la réalisation de Kengo Kuma pour Saint-Denis Pleyel, est le symbole de cette évolution. « La Société du Grand Paris souhaite que cette émergence ait une identité forte, soit un point de repère, un lieu qui agit sur son environnement immédiat, observe Étienne Tricaud, ex-président d’Arep, qui réalisera quatre gares du Grand Paris express. Mais il ne suffit pas de mettre un monument dans la ville, il faut une mise en scène du lieu pour qu’il y ait une appropriation, ajoute-t-il. Il faut y associer une charge émotive et symbolique. »
Contraintes du sous-sol
L’ambition architecturale se traduit également en sous-sol, où les contraintes sont souvent plus fortes. « Nous travaillons sur la manière d’agrandir l’espace perçu par divers procédés, en préférant, par exemple, les circulations suspendues dans un espace partagé aux tuyaux superposés, note Étienne Tricaud. Mais également sur les cheminements, le rythme de la déambulation, l’exploitation de la lumière pour la faire rebondir jusque sur les quais du métro. »
Le numérique fait évoluer ces réflexions, notamment grâce à une modélisation des flux piétons de plus en plus fine. La smart city a, en effet, fait son entrée dans les gares et participe à les faire évoluer. « Selon les espaces, le nombre de voyageurs, la lumière naturelle disponible…, la gare intelligente adapte en temps réel son éclairage, sa sonorisation, sa ventilation/climatisation et l’information voyageur/signalétique selon des scénarios pré-établis », explique Cédric Gallais, directeur du programme smart city de Systra, qui a développé le concept de smart station pour répondre aux nouvelles attentes des voyageurs en termes de services et de confort. Une attention particulière peut ainsi être portée à l’usage de la lumière (naturelle ou LED), des sons, des odeurs, de l’ambiance, etc., en considérant les gares comme des « organismes vivants » qui doivent s’adapter en fonction des changements de l’environnement.
Étienne Tricaud, ex-président d’Arep
« La gare est un objet contemporain au service des usages de la ville »
Comment a émergé la qualité architecturale dans les projets de métro ?
La recherche de qualité architecturale, qui est devenue une attente des donneurs d’ordre, est un sujet essentiel. L’emploi du mot gare – et non pas station – pour le Grand Paris express n’est pas anodin. Nous y avons vu une qualification de ce qui était attendu. Cette réflexion de la Société du Grand Paris se retrouve dans de nombreux pays où la place donnée à la mobilité urbaine est un enjeu majeur.
Que pensez-vous de l’implication de grands noms de l’architecture dans la conception des gares ?
Nous avons été pionniers avec Arep, depuis 20 ans, dans la transformation des lieux de transport dans la ville. Partout, nous attirons l’attention des décideurs sur l’importance de ces sites dans la vie quotidienne et de leur rôle comme cadre de la vie sociale. Il est donc très satisfaisant de voir que la profession d’architecte s’en saisit alors que ces lieux n’étaient auparavant pas pris en considération.
Les grandes gares sont souvent à l’image de la ville dans laquelle elles se situent, comment intégrez-vous cet aspect dans vos projets ?
La gare est un objet Janus, à deux visages. C’est à la fois une porte d’entrée dans la ville et une annonce du réseau auquel elle donne accès. Nous avons donc toujours à cœur de travailler sur ces deux perceptions. La gare est un objet contemporain au service des usages de la ville, qui sont en pleine mutation. J’ai pourtant une conviction qui est également un constat : on ne vit pas de la même manière selon la ville où l’on se trouve dans le monde, et l’évolution des usages reste fidèle à une sorte de culture urbaine locale, qui elle-même est en relation avec le cadre bâti et les espaces dans lesquels les pratiques sociales se sont forgées.