Pilier essentiel de la transition énergétique, les smart grids ou réseaux électriques intelligents recèlent un colossal potentiel de croissance. Un domaine dont la France peut se prévaloir d’un écosystème qui va de la recherche aux applications industrielles et dans lequel s’investissent autant des grands groupes, que des start-ups, des autorités publiques que des associations.
À l’horizon 2030, les réseaux électriques intelligents (REI), communément appelés smart grids, pourraient permettre d’économiser 400 millions d’euros par an en France, a estimé l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) dans une étude parue en juillet 2017. En 2013, dans le cadre du programme “La nouvelle France industrielle”, les REI ont été identifiés comme l’un des 34 champs d’innovation les plus porteurs en termes de compétitivité et d’emploi en France. A ce titre, il a été doté en 2014 d’une feuille de route, élaborée sous la houlette de Dominique Maillard, à l’époque président du directoire de Réseau de transport d’électricité (RTE). La photographie du secteur réalisée à cette occasion a montré que les smart grids employaient 15 000 personnes et généraient un chiffre d’affaires de 3 milliards d’euros par an, un montant amené à doubler d’ici à 2020, tandis que dans le même temps le nombre d’emplois devrait atteindre 25 000.
100 000 données traitées par seconde
Parmi les axes prioritaires de la feuille de route REI, figure la nécessité de structurer la filière française et de la promouvoir à l’international. Dans ce but, l’association Think smartgrids est créée en avril 2015 (voir itv). « Elle se veut un accélérateur pour l’ensemble du secteur des réseaux électriques intelligents, ainsi qu’un lieu de formation et de recherche », témoigne Michel Béna, directeur smart-grids chez RTE. Il explique que « les smart grids consistent en un processus de numérisation et de digitalisation des données du réseau électrique. Chez RTE, cela fait des dizaines d’années que l’on fait des réseaux dits “intelligents”. Nous traitons 100 000 données par seconde pour s’assurer que le système est bien équilibré et pour vérifier que l’énergie ne dépasse pas les limites physiques des capacités du réseau. La récupération et le traitement des données ont par ailleurs pour objectif d’optimiser la gestion des ressources. Nous mettons ainsi les données de production et de consommation recueillies à disposition des collectivités, des entreprises, pour leur permettre de mettre en place des actions afin d’améliorer leur efficacité énergétique ».
Des démonstrateurs
Pour expérimenter ces réseaux et systèmes électriques intelligents, des démonstrateurs, soutenus par l’Ademe, ont été déployés un peu partout sur le territoire depuis 2009. Ils permettent de tester les différentes fonctions qui font des smart grids les piliers de la transition énergétique : l’intégration des énergies renouvelables (photovoltaïque, éolien…) au réseau électrique, le comportement du consommateur par rapport à la gestion de sa consommation énergétique, la maîtrise des pointes de consommation, la recharge de véhicules électriques… Plusieurs de ces démonstrateurs ont désormais dépassé la phase d’expérimentation, à l’image de Venteea, projet piloté par Enedis et achevé en 2016.
Situé dans l’Aube, un des départements français disposant de la plus grande part de production à partir d’éoliennes, il visait à étudier l’adaptation du réseau de distribution d’électricité à cette production et ses modalités de stockage. Pour cela, deux conteneurs de batteries lithium-ion ont été utilisés, le plus grand système de stockage par batteries jamais installé en France. Aujourd’hui, l’un des partenaires du projet, Boralex, société exploitante de sites de production d’énergie renouvelable au Canada, en France, au Royaume-Uni et aux Etats-Unis, est en négociation pour reprendre l’activité de stockage expérimentée dans le cadre de Venteea. Autre exemple : Nice Grid, projet de quartier solaire intelligent près de Nice coordonné par Enedis, a, entre autres, permis de tester les applications des compteurs communicants Linky (gestion de sa propre consommation d’électricité, estimation la disponibilité du réseau).
Faire du smart grid à l’échelle d’une région
Pour éprouver les fonctions à l’échelle d’une région, l’Etat a lancé un appel à projets en avril 2015 afin de promouvoir un ou plusieurs territoires smart grids et d’en faire une vitrine industrielle des savoir-faire français dans le domaine des REI. En mars 2016, trois lauréats ont été sélectionnés : les projets SMILE (Smart Ideas to Link Energies), porté par le Conseil régional de Bretagne, en lien avec les Pays-de-la-Loire, Flexgrid, en région Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA) et You & Grid, déposé par la métropole européenne de Lille. Si les démonstrateurs se concentrent sur un ou quelques points de R&D, voire sur une fonctionnalité spécifique (par exemple la recharge de voiture électrique en habitat collectif), l’idée ici est de faire du smart grid au niveau d’un territoire beaucoup plus vaste.
Dans le cadre de Flexgrid, mené dans une région qui réunit à la fois des zones climatiques variées, des métropoles côtières, des zones industrialo-portuaires, un aéroport, des stations de ski, des zones électriquement isolées…, une quarantaine de projets sont ainsi menés, touchant à la fois à l’optimisation des énergies renouvelables, aux data center, à la mobilité électrique, au smart-territoire, aux bâtiments intelligents… « L’objectif de Flexgrid est de créer une route de savoir-faire, un showroom, en rentrant par les “use case” (cas d’usages), et faire la promotion des entreprises impliquées à l’international », détaille Bernard Mahiou, directeur général de Capenergies, maître d’œuvre de Flexgrid. Il y a également des projets transverses, sur la big data, la formation, l’internationalisation, l’accompagnement des entreprises, la sécurité ou encore l’acculturation de la société ». Alors que le déploiement des compteurs Linky d’Enedis rencontre des résistances, Bernard Kleynhoff, conseiller régional de PACA et président du comité stratégique Flexgrid, rappelle en effet l’importance de faire œuvre de pédagogie sur ces sujets pour ne pas être en opposition avec les utilisateurs finaux.
Meilleure intégration des énergies renouvelables (éolien, solaire), augmentation de la puissance des lignes grâce à des capteurs, géolocalisation des incidents à distance… : parmi les 120 démonstrateurs smart grids répartis sur le territoire français, celui du poste électrique intelligent est l’un des plus emblématiques. Expérimenté dans la Somme depuis 2016, cette première mondiale permet, par la combinaison de capteurs, de fibres optiques et des dernières technologies du numérique, d’optimiser les capacités du poste électrique afin de l’adapter au développement des énergies renouvelables. Equipé d’une station météo, il s’adapte de lui-même aux conditions météorologiques et est aussi capable, en cas de défaut sur le réseau (foudre, surcharge, etc.), de couper la ligne défaillante tout en faisant une auto-analyse du problème et de rétablir automatiquement le courant lorsque celui-ci est réglé. D’un montant global de 32 millions d’euros et coordonné par RTE, le projet a pour partenaires GE Grid Solution, Schneider Electric, Alcatel-Lucent, Enédis et Neelogy. « Nous avons énormément de délégations étrangères qui viennent visiter le poste électrique intelligent, souligne Michel Béna, directeur smart grids chez RTE. Ce qui est intéressant pour GE dans le cas du poste électrique c’est que, lors de ces visites, ce soit RTE qui porte le discours face à l’opérateur étranger. Ce dernier sait que nous avons les mêmes contraintes que lui, ce qui apporte une crédibilité et une plus-value à GE ».
Trois questions à Valérie-Anne Lencznar, déléguée générale de Think smartgrids
« Les expérimentations de la France intéressent beaucoup de pays »
Qui sont les membres de l’association Thinksmart grids ?
Au départ, en avril 2015, elle a été lancée avec les 50 acteurs et entreprises, des grands groupes mais aussi des PME, des start-ups, des pôles de compétitivité, des représentants d’université, qui avaient contribué à la feuille de route réseaux électriques intelligents de Dominique Maillard. Aujourd’hui, il y a une centaine d’adhérents, dont deux membres observateurs que sont la Commission de régulation de l’énergie et la direction générale des entreprises, rattachée à Bercy.
Quel est son rôle à l’étranger ?
Beaucoup de pays étrangers sont très intéressés par ce qui se passe en France, en particulier les solutions qui sont choisies pour la transmission des données. Le fait par exemple de déployer 35 millions de compteurs intelligents est une véritable référence. Par ailleurs, les smart grids permettent d’intégrer les énergies renouvelables tout en améliorant la tenue des réseaux et constituent en cela des accélérateurs pour la mise en œuvre de l’Accord de Paris sur le climat de 2015, ce qui intéresse beaucoup de pays.
Pouvez-vous citer un exemple ?
Nous avons signé un partenariat avec les Indonésiens afin de réaliser une étude de faisabilité pour voir comment installer des réseaux électriques intelligents sur deux types d’îles : une grande île qui a déjà un réseau préexistant qu’on pourrait améliorer, et une toute petite île où il n’y a quasiment pas de réseau et sur laquelle on pourrait installer des solutions de micro-grids. L’idée est ensuite de faire du marketing collectif de nos membres : comme ces solutions smart grids nécessitent de travailler entre plusieurs sociétés ayant des compétences différentes, le but est de promouvoir et de pousser tout un écosystème.
Propos recueillis par E.C.