Adeptes de la biodiversité dans la ville, les fondateurs de l’agence XTU architects travaillent avec ardeur à concevoir la métropole du futur » sobre, dense et résiliente « . De Gyeonggi en Corée du Sud à San Francisco en Californie, ils font rayonner l’innovation architecturale française.
Anouk Legendre et Nicolas Desmazières se fixent pour ambition en 2018 de nouer des partenariats avec des acteurs de la ville étrangers et peut-être les amener sur des projets français. Non pas que les fondateurs de l’agence parisienne XTU manquent d’inspiration, mais ils sont convaincus que l’on est plus performant à plusieurs que seul dans son petit pré carré. Un enseignement tiré des divers appels à projets lancés récemment en Ile-de-France, auxquels ils ont tous participé, avec succès pour deux d’entre eux (lire ci-contre Agriville). « Le principal apport de ces concours a été de réunir des équipes mixtes et d’horizons très variés », reconnait le couple, « nous ne travaillerons plus jamais de la même manière ».
Culture de micro-algues dans les façades
Situé sur le site de Marne Europe à Villiers-sur-Marne (Val-de-Marne), « Balcon sur Paris » a fait partie en 2017 des 51 lauréats du plus grand concours d’architecture européen, Inventons la Métropole du Grand Paris. Ce programme de 127 000 m2 essentiellement construit en bois, est porté par la Compagnie de Phalsbourg avec un pool de quatre agences d’architecture : Kengo Kuma, XTU architects, Stefano Boeri architectti et Michael Green architecture. Un an et demi plus tôt, « In vivo » conçu par XTU Architects avec BPD Marignan, Efidis et le groupe SNI, avait été sélectionné parmi les 75 projets proposés pour réhabiliter 22 sites dans le cadre du concours Réinventer Paris. Probablement l’un des plus innovant de la compétition, In Vivo (13e arrondissement) cultivera dans ses façades des micro-algues qui auront une double fonction : satisfaire les besoins en lumière et régulation thermique du bâtiment, tout en transformant ses rejets de CO2 et d’eaux usées en aliments pour la production d’algues, elles-mêmes utilisées dans l’alimentation, la pharmacologie, la cosmétologie et comme alternative aux énergies fossiles.
« Formes complexes »
« C’était la solution que nous attendions », révèlent Anouk Legendre et Nicolas Desmazières. A la recherche d’une alternative au photovoltaïque, ils découvrent le potentiel des micro-algues. Après un démonstrateur à Paris lors de la Cop 21, puis un pilote industriel au CSTB (1) à Marne-la-Vallée, In Vivo sera la première application commerciale de cette fabuleuse invention qui pourrait faire passer les villes du statut de consommatrices à celui de productrices. Mais avant d’en arriver à ce niveau de réflexion, le duo a effectué un long cheminement au gré de l’évolution de ses réalisations et de ses voyages. Si l’expérience internationale a commencé dès l’enfance pour Nicolas dont le père était ambassadeur, elle a été plus tardive pour Anouk née à Tarbes. Leur chemin se croise en Bavière (Allemagne) à l’occasion d’un voyage d’études. Suivront le Japon, « fondateur » de leur travail, des randonnées dans le désert africain pour se ressourcer et l’Islande avec ses paysages « façonnés par les flux », en rupture totale avec la conception traditionnelle de la géométrie.
« Reinventing cities »
Dès lors, après des projets « carrés et cubiques » d’équipements publics (lycée Les Menuts à Bordeaux, université Paris X à Nanterre, commissariat de La Plaine-Saint-Denis), ils s’inspirent des courbes harmonieuses islandaises pour concevoir le musée de la préhistoire de Jeongok à Gyeonggi en Corée du Sud. Leur long serpent de métal s’articulant entre les collines remporte la mise face à 1 500 candidats internationaux et marque un tournant dans leur carrière. « Nous pouvions désormais sortir de notre métier habituel et travailler avec d’autres disciplines, des scientifiques par exemple pour réaliser des formes complexes », expliquent les architectes. Une porte ouverte à d’autres réalisations culturelles telle la Cité du vin de Bordeaux, monumentale goutte posée en bordure de la Garonne comparée par certains au Guggenheim de Bilbao. L’aventure exploratoire de XTU s’exprime également dans la capacité à révéler le potentiel des matières, tel le bois magnifié dans le Pavillon de la France à l’exposition universelle de Milan (2015).
Autant d’innovations explorant des champs les plus divers qui servent de fondements à la conception du Musée écologique de la baie de San Francisco, sur lequel travaille actuellement Anouk Legendre et Nicolas Desmazières (lire ci-contre). Mais le couple, à la ville et à la scène, se positionne déjà sur le nouvel appel à projet international « Reinventing cities ». Oslo en Norvège, Reykjavik en Islande, mais aussi Montréal au Canada font partie des sites sur lesquels se positionnent ces infatigables explorateurs.
(1)Centre scientifique et technique du bâtiment.
L’innovation architecturale et environnementale à la française s’érige à quelques encablures de la Silicon Valley en Californie ! Ce n’est pas rien. Un tour de force réussi par Anouk Legendre et Nicolas Desmazières sollicités par l’ONG The Bay Ecotarium pour réhabiliter intégralement l’actuel aquarium de San Francisco et le transformer en Musée écologique de la baie. Pour ce faire, les fondateurs d’XTU ont conçu une suite de trois bâtiments arrondis de taille différente, aux façades intégrées de LED restant illuminées la nuit. Révélant une « ondulation » qui émerge de la terre et de la mer, le projet se prolongeant sur la marina « est un paysage autant qu’une architecture », décrivent-ils. L’ensemble concentre l’étendue des savoir-faire des architectes français avec une structure en bois, une production de micro-algues dans les façades, un chauffage par géothermie, une ventilation naturelle, des animaux marins filtrant les eaux grises…
« Outre les origines de la baie et les impacts des activités humaines sur son écosystème, l’Ecotarium montrera également comment les biotechnologies peuvent rétablir son équilibre environnemental », ajoute Anouk Legendre. Aussi, un démonstrateur présentera les innovations tant issues de la Silicon Valley, par exemple en matière de bioluminescence (2) que de la France avec un prototype de biohacklab sur le modèle de La Paillasse à Paris (3). Car l’ambition consiste aussi à rendre le visiteur acteur. La consultation des mécènes pour financer ce projet exclusivement privé aura en octobre 2018.
Agriville ou la lisière ville-campagne réinventée
Soumis à « Inventons la métropole du Grand Paris » sans être retenu, Agriville, dans le Triangle de Gonesse (Val d’Oise), pousse loin le concept de réversibilité. Bâtis sur pilotis, les bureaux, commerces et locaux d’activités surélevés de 6 mètres sont conçus pour laisser la quasi-totalité du foncier à l’agriculture. Le projet porté par Eiffage avec XTu, Jean-Paul Viguier et Arep, constitue un modèle reproductible démontrant que l’agriculture, à la frontière de la zone dense, peut se marier avec l’urbanisation sans relever du fantasme ni de l’effet de mode. Les architectes insistent sur la conception frugale et la simplicité de leur projet low-tech. « Nous proposons un aménagement avec moins de routes, moins de trottoirs, moins de matière, moins de dépense, plus de végétal, plus d’humanité, plus d’attention à l’eau, plus de valeur ajoutée », indiquent-ils, intarissables sur les vertus de l’agroforesterie, une des autres caractéristiques du projet, où la combinaison des arbres et des céréales évite les engrais. Sans être fâchés avec la modernité pour autant, puisque des robots désherbeurs sont par ailleurs évoqués.
J.P.